Il est des langues minoritaires qui, elles aussi, se comportent de façon impérialistes à l’égard de dialectes moins répandus encore. C’est le cas en Espagne, où de nombreux petits dialectes subsistent, surgis parfois en droite ligne du moyen âge.
L’espagnol est une des langues les plus répandues au monde, après le Chinois et l’anglais. En Espagne même, le Castillan est la langue offi cielle de l’état, forte de ses 29 millions de locuteurs, soit les trois quarts de la population. Mais la régionalisation poussée du pays a permis à d’autres parlers de décrocher le statut de langue offi cielle.
C’est le cas du catalan, première des langues régionales avec 4 millions de locuteurs. Le galicien est la langue maternelle de 2 millions de personnes, et le basque est parlé par un peu plus d’un demi million de personnes. Seulement voilà, l’Espagne compte en tout quatorze parlers, dont la plupart ne sont pas reconnus – au grand dam de leurs défenseurs – comme étant des langues à part entière. Seuls le castillan, dans toute l’Espagne, le basque, au Pays basque et en Navarre, le galicien en Galice et le catalan en Catalogne jouissent de ce privilège.
Protégé par les montagnes inhospitalières de cette partie de l’Espagne, le bable était en usage dans l’ancien royaume de Léon, au moyen âge. S’il est resté cantonné dans ses montagnes, le bable, en revanche, n’a que peu souffert de la domination castillane. Aujourd’hui, il vit entre deux eaux. La constitution espagnole et le statut d’autonomie des Asturies le protègent certes : les administrations ont l’obliga-tion de le promouvoir, de le diffuser et de l’enseigner, mais sur une base volontaire seulement. Tout au plus une loi de “promotion et d’usage du bable”, promulguée en 1998, reconnaît-elle à ce parler le statut assez vague de ” langue traditionnelle ” des Asturies. Les citoyens ont ainsi le droit d’utiliser le bable, et les moyens nécessaires à l’exercice de ce droit doivent leur être accordés.
Du coup, une intense activité culturelle s’est développée autour du bable. Des publications sont apparues, et certains rêvent de lui rendre son statut d’antan et de le convertir en langue offi cielle. L’intérêt pour le bable dépasse les frontières espagnoles, puisqu’un auteur américain, Mark Ostrowski, l’a fait inscrire au Registre des Langues minoritaires menacées, et a publié un recueil de poésie en dialecte asturien.
En réalité, le cas espagnol est loin d’être isolé. Certains auteurs avancent que l’Italie, à elle seule, compte plus de 50 dialectes, par-fois très localisés comme le grec en Sicile. Et la lutte de la Francophonie pour que la langue de Voltaire garde son rang, ne doit pas faire oublier que les contemporains de Maupassant parlaient encore le normand, le picard, le breton, le fl amand ou l’occitan. Toutes richesses linguistiques dis-parues au nom… de l’effi cacité et du centralisme jacobin. Malheureusement, la défense d’une langue a souvent été pervertie par le combat nationaliste. Une tendance héritée de la conception de l’état nation au XIXème siècle.
Il serait dommage que l’association des langues minoritaires au nationalisme le plus étriqué les rendent suspectes et menace l’extraordinaire diversité linguistique et culturelle de l’Europe.
Maria Rodriguez